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Toutes les patates ne peuvent pas nager...


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Poétique de l'être masculin : 4ème extrait

- Je mange le temps, j'ai ma montre dans la bouche, ainsi je ne vois plus l'heure qu'il est, je sens juste le tic…tac dans le palais, je mange le temps. Et cette attente, Geoffroy, a quelque chose d'intolérable justement parce qu'elle ressemble à toutes les autres. Voyez-vous, de l'habitude naît l'ennui… ( elle ne voulait pas se départir de cette habitude de me vouvoyer ) Mais est-ce que je m'ennuie plus de la nature de l'attente ou de son objet ? Et est-ce qu'une réponse rendra plus supportable cette attente, et cette question ?

- Je ne sais pas, Louise, je n'ai pas de réponse, pas celles-là en tout cas.

- La vie n'est pas une réponse mais une infinité de questions, vous savez cela, vous qui n'en posez jamais, Geoffroy. Ca faisait longtemps que je n'avais pas vu la mer. Il y a un ravin qui se creuse de plus en plus entre lui et moi, la distance, Est-ce que j'ai du mal à le vivre ? Et l'existence de ce ravin, dérangeante ou rassurante ? Mais quoi. Si je mange le temps. Comme novembre est vite passé, vous ne trouvez pas ?

- Si, bien sûr, je dirais même…

- J'ai rêvé ce temps, le temps de mon insouciance où la certitude des choses établies avait quelque chose d'irréel, comme de la poussière à la lueur d'un néon.

Louise faisait toujours ce genre de comparaisons assez déconcertantes par leur improbabilité. Je n'arrivais toujours pas à voir où elle voulait en venir… Comme elle le disait si bien, je ne posais jamais de questions. J'attendais simplement, comme elle le faisait, j'attendais qu'ils viennent à moi, et qu'ils se décident à parler, parce qu'ils voyaient bien que j'étais différent. Différent de Théodore, différent d'eux. Mais Louise, c'était une autre paire de manches. Elle ne me laissait pas le temps de réfléchir, elle pensait pour deux, et qui plus est à voix haute. 

- Je n'arrive même pas à être indifférente à ce qu'il m'arrive, bien sûr. Il faudrait que je me venge, mais je ne peux pas m'en foutre totalement… Ce serait tellement facile pourtant. A quoi ça sert d'autre, sinon à manger le temps, que de plaquer sur une feuille quelques mots de trop comme toujours. Ce n'est pas à moi de revenir, vous comprenez ? Toujours, l'habitude nous revient comme un dû, c'est trop aimable.

Nous marchions depuis un bout de temps déjà, on s'était largement éloigné. Mais Louise ne se rendait jamais compte des distances que l'on pouvait parcourir, elle me suivait, parce que je l'écoutais, mais je me demandais si finalement ce n'était pas moi qui la suivais, si ce n'était pas elle qui me redonnait le courage de marcher encore ; Pendant des heures, les pieds glacés par l'eau de l'Atlantique qui revenait toujours à l'attaque du rivage, comme un combat perpétuel face à nos angoisses encore trop terre-à-terre ; elle se posait ses questions à elle-même, elle réfléchissait à voix haute, me prenant à témoin de ces réflexions dont elle ne connaissait que trop bien les réponses. Parfois, la situation me faisait presque rire, elle me posait aussi les questions à moi mais ne me laissait jamais le temps de répondre. Peut-être par peur de ce que j'aurais pu lui dire de trop rationnel. Car, oui, Louise avait terriblement peur de ce monde terre-à-terre. Ce monde qu'elle dénonçait comme incapable d'accorder de la place à l'amour. Elle semblait pouvoir faire abstraction de cette façon des choses qui ne lui plaisaient pas, comme cette idée de pouvoir manger le temps. Elle oubliait ainsi la fatigue des kilomètres, le repas sauté, la faim, le vent un peu trop froid de ce jour.

Et son espoir en la vie me faisait de la peine, face à cette lassitude qui m'assaillait chaque matin au réveil. Qu'est-ce qui lui donnait le courage de croire encore autant alors que tout lui criait le contraire ? Je n'aurais pas osé lui demander. Est-ce qu'elle aurait su me répondre, je ne crois pas. Et cette fascination qu'elle exerçait sur moi renforçait encore mon impression de faiblesse. Elle s'arrêta soudain et pour la première fois regarda vers la mer. Elle s'assit sur le sable humide et de son doigt se mit à tracer des traits, la tête penchée, les cheveux au vent. Elle avait l'air d'une enfant perdue qui se résignait enfin, qui acceptait son état comme une fatalité.

Et cette image ne lui allait pas. Louise n'était pas le genre de personne qui s'arrête ainsi, au beau milieu. Je vis alors deux larmes sillonner ses joues creuses, elle ne bougeait pas, aucun muscle de son corps ne trahissait de sanglot, on aurait cru voir une statue, un peu trop exposée aux intempéries.

Je me suis assis à côté d'elle, j'ai pris sa main. Elle m'a regardé comme si elle ne m'avait jamais vu avant, de ses grands yeux curieux.

- Je ne saurais pas quoi vous dire pour faire partir ces larmes-là, c'est le genre de choses que je n'ai jamais apprises, dis-je du mieux que je pouvais.

- Je ne vous demande rien, Geoffroy, je contemple ce sable où on peut faire des dessins à sa guise, ça ne gêne personne, c'est complètement malléable… Ma vie m'échappe. Ne croyez pas que je sois naïve… Je sais très bien ce qu'il en est, des gens, de cet endroit. Mais je le veux bien aussi. On croit que c'est facile de vivre à cent à l'heure, qu'il suffit de foncer, mais la vie n'est pas une course, c'est une partie d'échecs. On n'est pas là pour courir, on est là pour réfléchir, calculer, prévoir. J'ai cru que je pouvais passer au-delà de tout ça, outrepasser les règles du jeu. Est-ce mon destin que mon propre jeu m'échappe ? On peut courir quand on est jeune mais il faut savoir s'arrêter à un moment donné. On ne s'en va pas avec un bel inconnu rencontré dans la rue, pas plus qu'avec son voisin marié. Vous ne dites jamais rien, vous savez que j'ai tort, mais je vous remercie quand même de n'avoir rien dit. C'est un silence différent de celui des murs.

- Peut-être pas tant que ça. C'est lâche aussi, de ne rien faire, de subir comme je le fais.

- Chacun sa place. Ca n'est pas la vôtre, murmura-t-elle en baissant les yeux vers ce dessin dont elle pouvait modeler l'existence à sa guise, je commence à avoir froid, je commence à perdre la chaleur emmagasinée tout ce temps. Vous voyez, mes mains sont froides et rien ne les réchauffe. Pas même les vôtres, Geoffroy.

 

Mes mains ne réchauffent pas. Je ne sais pas quoi en faire, elles sont si froides.

Nous avons finalement fait demi-tour, parce qu'il faut bien rentrer à un moment ou à un autre. Le vent me cinglait le visage comme une gifle mais je ne baissais pas la tête, je m'en foutais de ce qu'il pouvait bien avoir à me reprocher.

J'en ai eu marre de Louise, elle pouvait être aussi charmante qu'elle voulait, j'en ai eu marre.

Marre de son sourire par lequel elle croyait pouvoir tout se faire pardonner. Elle était encore là le lendemain matin quand je suis sorti, après qu'ils eurent tous déjeuné de préférence. Comme d'habitude, elle me suivit, elle marchait tranquillement comme si nous n'avions jamais dit quoi que ce soit. Mais je m'en foutais parce que mes mains sont froides. Je m'en foutais parce que j'étais terriblement égoïste et que je rattachais tout ce qu'elle me disait à moi-même sans être foutu de faire quelque chose pour elle, si ce n'est m'excuser.

 

Elle m'avait fait mal au cœur. Mal pour elle, mais mal pour moi.

Je croyais que l'amour que je donnais à Elise était fort, peut-être même grand, et les quelques paroles de Louise me plongeaient la tête sous l'eau glacée.

Est-ce que je l'ai aimée comme j'aurais dû ?

Je me suis arrêté net, j'ai regardé Louise avec ce regard qu'on dit noir. Oui j'étais en colère. Contre tout. Elle s'est arrêtée à son tour, surprise, elle ne comprenait pas. Je suis reparti vers la maison, en courant presque, je sentais les larmes me brûler la gorge.

Je suis rentré par la cuisine,  je me suis dirigé vers le frigo pour prendre un verre de lait… J'ai fermé les yeux, je sentais le liquide glacé couler le long des parois de mon estomac, comme s'il emmenait l'angoisse avec lui en passant dessus. J'ai posé le verre dans l'évier, le bruit soudain du choc m'a réveillé, j'avais déjà les larmes aux yeux… Une douche froide, j'en ai presque eu mal tant elle était fraîche. J'ai grimpé en vitesse l'escalier jusqu'à ma chambre, fermé les volets, éteint toutes les lumières, allongé sur le lit, les bras derrière la tête, j'ai fixé le plafond pendant… Je ne sais plus, mais longtemps, trop longtemps.

 

J'ai mis quelque temps à me remettre de ce choc que Louise avait causé. Le lendemain matin quand je suis redescendu, elle m'attendait dans la clarté du petit salon. Elle savait que je passais par-là pour aller sur la plage lorsqu'il était tard, parce que les autres étaient tous dans le grand salon.

Elle avait un livre à la main, assise tranquillement dans un fauteuil de rotin. Je l'avais rarement vue si calme. Au moment où j'ouvris la porte, elle levait les yeux de son livre. Elle m'attendait. Elle le ferma et le posa délicatement sur ses genoux, de ce genre de gestes qui rendent une femme très vieille d'un coup, et elle aurait pu avoir les cheveux blancs, ça aurait été la même chose. Elle me regarda de cet air qu'avait mon frère sur son lit de mort, les sourcils légèrement froncés mais le visage qui souriait. Elle ouvrit la bouche et la referma immédiatement, ravalant ses mots avec l'air inspiré.

Soupir.

Je m'appuyais de l'épaule sur la bibliothèque, les bras croisés sur le torse. Je me suis dis que j'étais indulgent d'attendre, j'aurais pu sortir, mais par curiosité presque sadique, je suis resté. Cette fois des mots sortirent lorsqu'elle ouvrit de nouveau la bouche :

- J'ai comme l'impression que j'ai quelque chose à me faire pardonner, sans savoir ce que j'ai pu commettre… , fit-elle doucement, elle attendit un peu pour reprendre, guettant une sorte d'accord sur mon visage, ne soyez pas trop sévère avec le passé d'une pauvre femme abandonnée, Geoffroy…

- Je ne suis sévère avec personne, dis-je en réprimant un sourire mauvais.

- Alors quoi ?

- Alors ce n'est pas votre passé qui m'a dérangé, Louise, c'est la vérité offensante de vos sentiments.

- Pardon ?

- Je croyais savoir ce que c'était d'aimer, et d'un coup, j'ai vu du néant devant moi.

- Je suis désolée, fit-elle en baissant les yeux.

- Ca n'est pas votre faute, seulement la mienne. Ce n'est pas le peu que vous m'avez raconté qui m'a blessé, c'est cette mise en évidence du rien que j'ai pu donner pendant ces années… et que je croyais être tant.

Je suis sorti rapidement pas la fenêtre, je voulais écourter cette conversation stupide. Mais Louise me rejoignit presque aussitôt, pieds nus pour une fois.

- S'il y a quelque chose dont vous voulez vous débarrasser, ce n'est pas en le fuyant ainsi.

- Laissez tomber, ça n'a rien à voir, répondis-je violemment. 

Elle prit encore ce drôle d'air de chien battu qui lui allait si bien à cet instant pour murmurer doucement : J'ai trop parlé de moi, je sais.

Puis elle se retourna et repartit vers la maison.

Une fois de plus, je restais seul sur cette plage, à me demander si ce bout de terre menait quelque part, pas plus que mon propre chemin, sûrement.

Ecrit par Pak, à 10:50 dans la rubrique "Textes".



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