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Poétique de l'être masculin : 3eme extrait

Couleur du ciel.

Prophétie. C'était ça, la couleur du ciel

ce matin.

Soleil transperçant les frêles nuages. Frêles pensées. Le bruit des voix venait du petit salon, en bas. J'ai dormi tard. Glissement des draps, mes pieds atterrissent dans leurs pantoufles. Je ne voulais pas entendre le bruit de la peau sur le parquet lisse, pas aujourd'hui.

Comme le premier matin, ils sont tous déjà attablés autour du déjeuner que la cuisinière sert. Cuisinière, omniprésente, omnipotente, tout dépend d'elle ici, du moins tout ce qui est matériel. Le ménage, la cuisine, le repassage. Cendrillon quoi.

Il reste une place en face de cette grande femme brune, à l'air un peu distrait, qui souriait comme du pain grillé. Mère Cendrillon vient poser devant moi tout l'attirail qui devait lui sembler nécessaire à déjeuner. Assiettes, couverts, verre pour le jus, tasse pour le café, et tout ce qui va dedans. J'ai failli protester, mais le sourire pain grillé m'en dissuade. Un drôle de silence vient de s'établir, je me demande si je ne suis pas de trop. Peut-être que les choses vont être plus dures qu'il n'y paraît. Heureusement, il n'y a pas de pain grillé au menu. J'ingurgite les céréales, les croissants et les liquides. Tous se lèvent, chacun partant dans son coin pour rêvasser à on ne sait quelle vie antérieure. Moi je marche vite vers les toilettes pour vomir l'intégralité de la matinée à peine commencée. Je ne déjeune jamais le matin. Ma mère avait mis du temps à le comprendre.

Je marche vers ma porte-fenêtre, contemple un instant les pantoufles. Sable et pantoufles. Incompatibilité en vue. Je me déchausse et pars vers la mer. Marée basse, elle est loin.

Il y a du vent, il y a du bruit, mais j'entends derrière moi des pas qui me suivent. Je ne me retourne pas, j'attends. Arrivé près de l'eau, une petite voix suraiguë me suggère : Vous ne devriez pas marcher ainsi pieds nus, vous allez tomber malade…

- Effectivement, c'est une possibilité, merci d'y penser.

Elle tient mes pantoufles dans la main, et me les tend très logiquement.

- A vrai dire, je me disais que c'était elles qui allaient être un peu malades, avec le sable. Cela dit, je m'en fous un peu, je préfère être pieds nus.

- Ah bon…, dit-elle, visiblement sceptique, Vous n'en avez plus besoin alors ?

Et sur ce, sans me demander mon avis, de toute la force dont elle ne semblait jusqu'à présent pas disposer, elle envoya mes pantoufles dans la mer.

Complètement éberlué, je regarde le vol des pantoufles, puis le lanceur. Et là, franchement, je ne savais pas quoi lui répondre.

- Je m'appelle Louise, elle me tend la main, celle qui vient de balancer mes pantoufles. Sans réfléchir, je la saisis,

- Enchanté… je…

- Vous vous appelez Geoffroy, je sais, j'ai été regarder dans le registre.

 

Le lendemain matin, marchant sur la plage, je me suis rendu compte que je n'étais pas rasé, et je me suis demandé si ça n'était pas une grave erreur quand je vis arriver Louise, car je m'attendais à ce qu'elle ait prit mon rasoir pour l'offrir à la mer, qui du reste en avait sûrement largement besoin.

Mais non.

Elle vint cette fois les mains vides.

Louise était une femme bavarde, je l'entendais de ma chambre parler à longueur de temps. Je ne sais pas à qui elle s'adressait car je ne comprenais pas ses paroles, seulement quelques mots par-ci par-là.

Peut-être même qu'elle parlait seule.

Et hier, elle m'avait suivi, le long du rivage, comme un petit chien curieux, sans prononcer le moindre mot. Elle paraissait on ne peut plus sérieuse, le regard vers la plaine, quelques cheveux qui s'échappaient sur son grand front. Elle était presque belle, en fait.

Elle ne tiendrait pas longtemps.

- Bonjour Geoffroy ! Vous n'êtes pas venu déjeuner ce matin ?

- Je ne déjeune pas le matin.

- Quelle drôle d'idée. Vous êtes en vacances ici ?

- Non, je travaille.

- Sur quoi ?

- Sur les comportements des…

- Moi avant de venir m'installer ici, j'étais documentaliste dans un petit lycée de banlieue, ça n'était pas franchement palpitant. Et vous, ça vous plaît ce que vous faites ?

- Eh bien, à vrai dire, je n'ai jamais cherché le côté plaisant de la chose.

- Ah bon.

- …

- Et vous êtes marié ? Enfin je veux dire, vous êtes seul ici, enfin comme tout le monde mais… Je ne sais, peut-être que les choses ont changé, et on peut venir moins seul, parfois. Vous voyez ce que je veux dire, n'est-ce pas ?

- Pas du tout.

Elle revint aussi le lendemain matin, et le jour d'après. A chaque fois, elle posait presque les mêmes questions, avec quelques petites variantes, aussi légères que les quelques cheveux qui s'échappaient sur son grand front. Elle était la première à être venue me parler. J'aurais sûrement dû aller vers ces gens de moi-même ; Je n'ai pas pu. Les choses sont comme ça parfois, il y a ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas, parce que le vent n'est pas dans le bon sens. Peut-être que Louise avait senti un bon vent, sûrement le même qui emmènerait mes pantoufles faire le tour du monde avant d'aller explorer les profondeurs abyssales de l'océan. A ce moment, son sourire ne ressemblait plus à du pain grillé, du moins à ce moment, je n'aimais plus le pain grillé.

 

- Geoffroy…Vous n'êtes pas venu déjeuner ce matin ? Elle me demanda d'un ton un peu triste, elle semblait vouloir la confirmation de ce qu'elle avait constaté. Je me demandai alors si elle se souvenait de nos entrevues de la veille. La suite me prouva que oui.

- Je ne saurais dire pourquoi je vous demande ça tous les jours, c'est évident que vous n'êtes pas venu, mais vous savez, les femmes posent souvent la question juste avant celle qu'elles voudraient poser, parce qu'elles ont toujours ce tout petit espoir qu'un jour les hommes les devineront.

- Ah.

- Vous êtes bien le seul qui me soit sympathique ici. Et vous voulez que je vous dise, Geoffroy, je crois même qu'ils sont tous un peu fous…, murmura-t-elle en un souffle, sûrement de peur d'être entendue. Je ne pus m'empêcher de sourire à cette remarque on ne peut plus exacte.

- Oh mais ne riez pas monsieur, je le pense sincèrement, mais sans préjugés, et croyez-moi, j'ai le sens de l'observation !

- Je n'en doute pas une seconde, Louise, je n'en doute pas. L'idée me faisait simplement sourire.

- Sourire, c'est bien le moins qu'on puisse faire, entre ces gens qui débitent des conneries à tour de rôle, la cuisinière qui ne parle jamais, et Théodore qui se prend pour un grand savant. En réalité, Geoffroy, je suis ici parce que j'avais besoin de repos. La vie que j'avais avant était devenue terrible.

- Qu'est-ce qu'elle avait de si terrible pour vous faire fuir ainsi ? Ca fait un bout de temps que vous êtes là si j'ai bien compris…

-Tout à fait, répondit-elle d'un souffle. Elle se tut un long moment, regarda vers la plaine à notre droite, inspira. A la mort de mon père, comme mes parents n'étaient pas mariés, j'ai hérité de leur immense maison, vous voyez ce genre de maison froide et morte qui vous étouffe. J'avais avec mon ami de grands projets de travaux, les choses auraient pu bien marcher s'il n'était pas parti avec une autre femme.

Ma mère était partie s'installer ailleurs. Je me suis retrouvée plus seule que je ne l'étais déjà.

Puis une famille est venue s'installer à côté de chez moi. La famille parfaite. Un mari et une épouse parfaits, trois enfants parfaits. Le père ne travaillait pas, ou du moins chez lui. La mère rentrait tard, les enfants, souvent dehors. J'apercevais parfois cet homme de mes fenêtres ou quand j'étais dans le jardin, nous avons sympathisé et puis nous avons eu une liaison, je pensais qu'on en resterait là. Mais je me suis accrochée à l'espoir d'une nouvelle vie ; Il me disait ne plus aimer sa femme, vouloir partir. J'y ai cru.

Et ça a duré ainsi pendant des mois, parfois j'étais sans nouvelles pendant des semaines, il ne sortait pas, il semblait être parti.

Je crois que sa femme se doutait de quelque chose. J'ai attendu. Puis j'ai décidé d'en finir. J'ai d'abord voulu mourir, mais on est souvent moins lâche que ce qu'on croit pour cela. Peut-être que quelque chose de mieux m'attendait ailleurs, ma mère m'a fait venir ici comme elle m'avait fait venir sur cette terre, sans me demander mon avis.

J'ai accepté, finalement.

Il fallait que je le sorte de moi.

Il fallait que son visage disparaisse, vous voyez cela Geoffroy. Mais la couleur de la mer est souvent là pour raviver la couleur de ses yeux. Il aurait fallu que je ferme les miens, que j'oublie le monde.

Dites-moi ce que l'on peut faire de son amour quand il est usurpé ? Elle se tut encore une fois, peut être qu'elle attendait que je trouve quelque chose à dire. Mais comme je ne disais rien, elle reprit :

Il y a le printemps qui revient, cette odeur de chaleur douce. Si je continue de me lever, c'est que je continue de croire ; Si je continue de marcher, c'est que je continue de vouloir ; Si je continue d'y penser, c'est que je continue d'y voir. Si je continue de l'aimer, c'est que je continue de choir. Je voudrais croire que tout va bien, je voudrais croire qu'on se voit demain.

Je voudrais savoir ce qu'il va se rappeler, ce qu'il a oublié.

Et je n'ai rien répondu. C'était la première fois que j'entendais une femme parler de son amour, et même si je me doutais que ça pouvait ressembler à ça, j'étais pris au dépourvu. Je n'ai rien répondu parce qu'il n'y avait rien à répondre devant un tel désespoir. Je n'ai rien répondu parce que je ne savais pas grand-chose de ces choses-là.

Ecrit par Pak, à 16:36 dans la rubrique "Textes".



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