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Poétique de l'être masculin : 2eme extrait

J'avais rencontré Elise lors d'une conférence qu'elle faisait sur les mœurs de la rue de nos jours, et dont je ne me rappelle même pas la moitié. Un ami passionné de sociologie m'avait traîné là, je l'avais accompagné, parce que moi, c'était mon métier, mais pas ma passion. Peu importe, elle était là, ravissante, je n'avais rien écouté de ce qu'elle disait, je n'entendais sa voix que pour sa voix. C'est ce genre de personne qui a de toute façon de l'allure, belle en toute circonstance. Cet ami la connaissait plus ou moins, et puis la suite est ordinaire.

J'avais tenté parfois de réconcilier Elise et la mer, mais rien n'y fit. Il y avait entre elles cette barrière opaque de béton et de verre dont on ne peut plus rien faire une fois qu'elle est là. Je n'avais pas eu la peine de voir Elise lentement ingurgitée par l'urbanité, comme une gangrène tristement calculée du plastique qui gagne sur la chair humaine de notre âme.

Des âmes de plastique oui.
Il était déjà trop tard
Et je n'ai rien vu
Et je n'ai rien senti
Et j'ai attendu.

J'ai attendu de voir si je pouvais résister, si je pouvais défier ce plastique en y restant au plein milieu. Petit appartement de proche banlieue, petite station de métro puant la pisse, petit bureau mal éclairé, scritch-scritch du rat dans le plafond.

Et le week-end, tant attendu, seule motivation d'un cycle sans début ni fin. Pourquoi Elise m'a-tu cloué à ça ? L'éternelle impression d'être là sans être là, les bruits tout autour, feutrés, si lointain, les images floues, des bribes de paroles qui me parviennent sans même que je les comprenne, que je les prenne… Ce frisson qui parcourt mon corps lorsque mon regard arrive péniblement jusqu'à la fenêtre… Et je te vois, grande ville insipide, tant bien que mal t'agiter devant nous, faire tes grands gestes avec tes bras qui parfois me font sursauter. Toujours ce frisson pour me rappeler que je suis tout de même là, dans une léthargie complète, le regard dans le vide, amorphe, rongée par un ennui plus que mortel, et toujours à cause de toi, qui ne sais plus quoi dire pour nous réveiller. La foule est là, présente, pressante tout autour, silencieuse et indifférente, dans le monde cotonneux. Après la sonnerie stridente, les portes se referment d'un claquement sinistre, le métro s'ébranle vers le gouffre noir. Les étoiles sur la paroi sombre défilent à toute vitesse.

Dans la rue, omniprésence de l'odeur de la neige, invisible. Le soir tombe sur nous et les lampadaires donnent un semblant de gaieté au gris permanent. Le pas, bruit sourd sur le trottoir, régulier, toujours là, garant du temps qui continue, des mots enfants du hasard pris comme des prophéties, à la légère. Légèrement tristes, légèrement rien. Tu ne marches vers rien, juste pour le plaisir de voir défiler les passants pressés et les autos sans âme. Il y a un petit sourire étrange au coin de tes lèvres, toi tu n'es là que pour vivre, à quoi bon se presser… Le froid nous mord les jambes, le nez, les oreilles, renifle discrètement. La nuit s'intensifie, mais ni la neige ni le silence ne tombent, il faudra attendre encore.

Y a cette photo en noir et blanc que tu as laissé tomber dans la Seine, avec ce petit air de piano dans la tête, à quoi bon se presser ; Regarde-la voguer doucement, cette ancienne réalité, là où le sourire est éternel, mensonge ou confirmation, elle va vivre sa vie de photo toute seule maintenant, sans ton regard où flottait la béatitude naïve. On devrait prendre des photos tous les jours pour y voir clair. On a chacun en nous un petit bout d'éternité, une parcelle de pendule qu'on possède et surtout qui nous possède, mais aujourd'hui tout ça reste sans importance… J'ai presque la sensation que le temps s'arrête…

Je me suis laissé gagner par cette vie. Je me suis laissé gagner par la lenteur du rythme des journées de ce monde.

Oui je crois qu'ils ont eu du mal à m'accepter, même s'ils ne semblaient sûrement pas soudés entre eux, ils avaient leurs petites habitudes. Je ne savais pas encore ce que j'étais venu chercher en réalité, parce que j'avais un peu peur de ce qu'il s'est effectivement passé pendant les deux mois qui viennent de s'écouler.

Je me promenais innocemment dans la maison, comme disait Théodore. La maison… La maison de qui ? Pendant tout ce temps ; plus rien n'a eu de valeur, mais il a fallu que quelque chose vienne changer tout ça ; bien sûr ça ne pouvait pas durer ainsi toute une vie, je ne pouvais mentir toute une vie.

J'ai cru que la mer saurait être ma rédemption.

J'ai cru que venir dans un endroit sans aucun rapport avec moi-même me ferait m'oublier, que je ne trouverais pas des traces de mon passé disséminées un peu partout dans chaque recoin de chaque pièce ; Mais cette vie est bien là, derrière les bruits de la vie, le parquet qui craque, derrière l'eau qui s'écoule dans la douche, derrière chaque livre de la bibliothèque, derrière chaque geste humain de ces êtres qu'on croyait ne plus en être.

Il y a cette étrange façon de vivre dans un rêve perpétuel, je suis assis sur le parquet de ma chambre, il pleut aujourd'hui. La fenêtre reste grande ouverte. La pluie chante tranquillement sur les tuiles mousseuses, elle est presque tiède à ma gorge. Pas un bruit, alors qu'il n'y a jamais de silence. Je me lève, je ne vois rien. Ca fait deux jours que je n'ai pas mangé.

Une ou deux fois, quelqu'un est venu frapper à la porte. J'ai su trouver la force de dire que je ne voulais voir personne.

Je m'appuie sur le rebord de la fenêtre, les dunes se chevauchent les unes les autres, se mélangent et se fondent pour oublier, un instant sur une autre vague, plus loin que la saveur du jour, grisé par les soupirs de l'eau, les cylindres grisâtres qui tendent à l'infini, l'obscurité d'un simple plaisir de se sentir mourir.

Je ne sais pas encore où je vais. Est-ce que je continue, comme Louise a continué ? Où est-ce que tout cela nous mène ?

Elise, je voudrais t'écrire encore une lettre. Je retourne à mon bureau où toutes ces notes que j'ai fait semblant de prendre s'entassent inutilement.

Ma main tremble, j'arrive quand même à saisir une feuille et un stylo.

"Ne me demande pas pourquoi. J'avais envie d'écrire, comme souvent, mais cette fois pas comme les autres, pas comme d'habitude, pas comme une nouvelle lettre au-delà d'une longue liste… J'aurais voulu une lettre de rupture ou une déclaration, ça n'est rien, ce ne sont des mots de rien. J'ai parfois peur d'avoir tout dit en n' ayant rien fait. J'avais l'air silencieux, peut-être même mystérieux, et j'ai tout crié d'un coup avec quelques morceaux de papier… Je voudrais que tu ne m'en veuilles pas… On doute on a peur on voudrait on ne veut plus tu souris tu disparais je reste seul au milieu des courants d'air ton parfum se dissipe. J'écris pour crier en silence. On se donne parfois des idées fixes pour se rassurer, on croit changer d'avis pour adoucir l'angoisse, comme un somnifère, puis tout revient à la charge, la drogue n'agit plus. Le pire c'est que je n'ai besoin de rien de plus, pas même un contact, pas même des promesses, simplement ta présence, uniquement ton regard complice pour respirer calmement. Mais je ne veux pas te décevoir, je ne veux pas d'un regard noir qui dirait la colère, je n'ai presque plus de patience mais j'attends, j'attends toujours, je t'attends toujours. C'est toujours les mêmes choses sur lesquelles on hésite, toujours les mêmes heures où on regarde le ciel en rêvant, encore une fois de trop. Il y a comme cette odeur de soir d'été orageux où le ciel est lourd sur nos épaules et l'air électrique. Je ne sais plus où je suis, où l'on est."

Le stylo est tombé.

Rien à faire s'il tombe de lui-même.

Rien à faire si je me tue de moi-même.

Ecrit par Pak, à 17:15 dans la rubrique "Textes".



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