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Poétique de l'être masculin : 1er extrait...

1.

Fenêtre entrebaîllée, le cri d'un oiseau.

Ce matin quand je me suis réveillé, le soleil entrait sans gêne dans la chambre et venait doucement se poser sur le mur face à la fenêtre, les rayons passant au-dessus de moi. La journée se promettait belle, je n'ai pas eu le courage de m'habiller. J'ai tiré les grands draps encore frais d'un grand mouvement lourd, j'ai glissé dans un plissement de tissu jusqu'à ce que mes pieds fassent ce petit bruit sourd que j'aime en touchant le sol. En caleçon, je suis sorti dans le couloir, le parquet craquait très légèrement, ami discret de mes promenades solitaires dans tout le bâtiment. La maison semblait encore endormie, bien que les fenêtres ouvertes et les rideaux légers qui rêvaient de s'enfuir au vent, laissent rentrer les bruits marins. Je suis passé devant le bureau de Théodore, notre infirmier, le pauvre garçon était endormi dans ses bras, étalé sur son bureau. Il avait confiance le petit Théodore. Je me souviens de son accueil plutôt agréable il y a deux mois. Il m'avait fait faire le tour de l'établissement ; un calme incroyable règne ici, grâce à lui sûrement.

J'arrive dans le grand salon et en ouvre la porte-fenêtre, le vent s'engouffre dans la pièce et dans mes cheveux. L'odeur saline, omniprésente, remplit un peu plus mes poumons, j'hésite un instant, je vais sûrement manquer le petit déjeuner, Théodore fera semblant de s'énerver puis sourira en me disant "Bah… Je sais, mon petit Geoffroy, tu ne peux pas te passer de cette balade…" Je sourirai aussi et irai prendre un café amer. Finalement je pose un pied sur la terrasse, attends encore, puis j'y vais. Au bout de quelques enjambées le sable a gagné sur le béton, j'ai la démarche gauche. Puis l'eau se rapproche, le sable se durcit et j'en sens la fraîcheur humide.

Tous les matins, elle est là, magique, puissante, elle ne m'a pas quitté une seconde, elle m'accompagne à chaque instant, de son chant langoureux… Ici, mon Elise, je te trahis presque, car elle est omniprésente, aucune fenêtre close n'arrête son bruit ni son odeur, aucune parole n'efface son silence, mais je ne peux que la comparer à toi, elle ne prend pas ta place, elle te complète. Elise, que de temps perdu ! Pourtant je n'en ressens pas la culpabilité. Je me rends compte que je n'ai pas encore commencé mon travail. Je me suis un peu perdu. Je me souviens avoir demandé mon affectation à Paris pour être loin de la mer, et voilà qu'on m'envoie ici ! Loin de toi, et si près de cette eau qui m'appelle. Mais le sujet était tentant. Voilà deux mois que j'apprends à vivre au milieu de ces gens, complètement à l'écart de la société. C'en est presque passionnant de voir comment ils se sont habitués à cet environnement. Certains n'avaient même jamais vu la mer, et pourtant ils sont là, ils apprennent à l'aimer comme moi je l'ai toujours fait. Dans mon entourage, on remarquait à quel point dans mon métier de sociologue, j'avais tenté de me diversifier dans l'étude des comportements, et pourtant ces moitiés de fous ne m'étaient pas encore venus à l'esprit.

Oui, depuis les deux mois que je suis ici, je n'ai pas commencé la rédaction de mon étude. Je me contente d'écouter tout ce qu'ils ont à dire, les uns et les autres. Mais je me laisse un peu facilement aller à moi-même. Je tiens ici à prendre mon temps. Et on n'imagine pas les démarches qu'il a fallu faire pour que j'obtienne le droit de séjourner ici. Ce n'est pas en tant que tel un asile mais plutôt une maison de repos, il y a peu de place, et les gens ici ne sont pas censés rester à vie, du moins je crois. Je me rappelle tous ces tests que l'on m'a fait faire. D'ailleurs, c'est étrange car je ne me souviens pas quand mon supérieur a commencé à m'entretenir de ce projet… Peu importe… J'avais de plus en plus souvent ces trous de mémoires, très faibles bien sûr, et de plus, je préférais commencer à écrire plutôt que de m'atteler au travail.

Je me suis rapproché du rivage, l'eau glacée de ce matin commence à venir me mordre les pieds. J'espère que tu ne m'en voudras pas. Le vent vient du large. J'espère que tu attendras. Oui j'écris plutôt que de parler, parce que je suis lâche. Le soleil perce presque à travers les nuages, avec des presque et des peut être, on ne va pas loin, comme tu me l'as dit ce matin d'hiver, où je te regardais dormir. Je me souviens de la candeur de ton visage dans le sommeil, tu as ouvert les yeux pour me demander : tu me regardes dormir depuis longtemps ? - Presque. Il y tant de choses que j'ai dites sans savoir pourquoi, poussé par un instinct trop présent. Si tous mes actes étaient régis par cette réflexion lassante d'exactitude et de rationalité, les mots, eux, prenaient leur liberté bien en main, et sortaient tous seuls, un peu comme ça. L'idée qu'on pouvait se faire de moi à vue d'œil, comme l'ont toujours fait tous mes collègues, était sûrement plus que fausse. Il y a cette sorte d'impulsivité que le corps voulait astreindre et dont la langue ne sait que faire. J'en aurais souffert des années encore si tu n'avais pas été là pour aller au-delà de cette carapace qu'était mon silence. J'avais ce regard un peu effaré, à la recherche des autres, de la vérité, de soi, comme une braise retirée du feu. J'avais beau le porter n'importe où, la vie autour était d'une pâleur opaque, comme un océan sans côtes, sans port, sans phare et sans rocher.

Un mardi matin.

Je suis sur le sable, la maison dans le dos. Il y a eu des visites hier. Une vieille dame pour Théodore, sa mère probablement, je ne lui ai pas posé la question. Je ne veux pas poser de questions. Elise, je perds de vue les raisons de ma présence ici. Je n'ai même pas envie de prendre un bateau, je veux juste marcher sur le sable en pensant à toi. Parfois j'ai peur de regretter l'époque où je ne pouvais pas te toucher, où chaque moment était une attente comme ce matin-là, où tu dormais sans l'ombre d'un doute… Pour rien au monde je n'aurais perturbé cet instant.

Je renverse la tête en arrière et j'ouvre la bouche, je vais avaler le soleil. Je tombe sur le sable, je ferme les yeux. Je n'ai pas envie de rentrer. Je tends les bras en croix et prends le sable à pleine poignée. J'ai senti la caresse de l'eau à la pointe de mes pieds, elle se saisit du bas de mon jean et l'investit lentement, jusqu'à enserrer mes genoux. Le temps n'a plus d'importance ici, peux-tu comprendre ? J'ai laissé ma montre dans le petit tiroir de ma table de nuit. J'avais commencé par le fermer à clé, mais les gens ici ne pensent pas à cela. Ils ne pensent pas. Ou ils ne pensent qu'à eux. Moi je les écoute. Je ne leur parle jamais de moi. Je ne suis pas là pour ça, et je ne veux pas parler de toi, je ne veux pas parler de cette vie profane qu'est celle de la ville et que probablement, ils ne comprendraient pas, ou pire, qu'ils ne pourraient pas accepter.

On essaye dans le passé de lancer des ponts impossibles qui pendront toujours dans le vide ; On espère le futur, un repos au bout d'un couloir, alors on souffre le présent, on marche pour voir ce qu'il y a derrière la montagne, pour voir au-delà… Mais jamais on n'arrive, car il n'y a pas de destination. Alors oui j'ai laissé ma montre dans ce tiroir, et elle peut bien en disparaître, parce qu'elle n'a jamais vraiment existé.

Mais je crois que c'est ce qui me plaît ici, ce temps qui ne passe pas. Il fallait pourtant que je veuille bien me l'avouer à moi-même, j'avais aussi accepté de venir car je ne savais plus mon amour. Mon amour pour Elise, mon amour pour la vie, mon amour pour ce que chaque jour construit. Il y avait dans mes derniers jours avant le départ un courant d'air froid à travers tous les morceaux de mon existence. Des trous noirs dans lesquels ma mémoire s'engouffre, des pans entiers de souvenirs qui s'efface, me criant presque de commencer une nouvelle vie. Elise, mon Elise, qu'est-ce que je pouvais faire de plus que de quitter cela ?

Le rêve nous emporte et les espoirs affaiblissent, je disparais en un fracas de décombres. L'intensité de la chaleur et de la lumière augmente. Tout est si proche, toi, des murmures à mon oreille et échanges d'oxygène. On joue un jeu dangereux pour l'au-delà. Mais un seul mot, si loin, nous a tués hier. Je sais qu'ailleurs tu m'attends, mais je ne peux plus me résigner à partir. On a souri d'un sourire trop grand pour qu'il soit sans histoire, et je sens encore l'odeur si propre à toi sur mes épaules. J'aurais eu peur du soleil tout autour, du mouvement vif écarquillé, de ton regard qui ne disait plus rien. Tu me fais si peur… Je me souviens du vent qui avait déjà ton sourire, il s'est encore envolé.

Toujours ce même matin, mardi.

Je roule sur le dos, la face contre le sable et je sens mes larmes qui se mêlent à celles de l'océan. Si l'on pouvait être plus précis dans l'accomplissement de l'expression "mordre la poussière", j'aurais bien voulu voir ça. Je me replie en fœtus, la tête sur le sable, les coudes dans les côtes, muscles tendus, les yeux grands ouverts. Je me sens nu comme un ver, Elise, son odeur, je suis un enfant stupide.

Ecrit par Pak, à 14:23 dans la rubrique "Textes".

Commentaires :

  NikkO
NikkO
16-11-03
à 15:54

Je préfère réellement "L'ensemble".




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