Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)

Toutes les patates ne peuvent pas nager...


Index des rubriques

Recherche


Session
Nom d'utilisateur
Mot de passe

Mot de passe oublié ?


Ailleurs sur Joueb.com
Poétique de l'être masculin : 8ème extrait

 

6.

 

 

" Silence, silence. Les fleurs mugissent d'angoisse et la préface à cette audace nous glace les membres…Les plaintes réchauffent ou refroidissent au gré d'un long supplice. Marcher dans une foule de colonnes aux torses éclatés par le sang bouillant, les serpents chassent autour de nous, plus verts et dissimulés que jamais, le rythme placide et régulier d'un filet insolent tournant sur lui-même qui nous endort et nous laisse rêver jusqu'au matin. La mer derrière mon pot à crayon paraît si vieille et blasée des temps d'aujourd'hui, tout ralentit, comme mon cœur. Une perle qui roule d'abord difficilement puis d'un coup vers d'autres pores. Se perdre dans une immensité bleue comme l'amour de l'océan, ne plus chercher les conséquences à problème de capitulation sur soi, courir le risque pour une fois de se laisser glisser comme la plume sur le papier, chanter des soupirs, pleurer des chansons, pour finir par crier et chercher ce qu'il y a au fond du sac de son ventre, au fond du sac de la vie et de l'humanité. Et peut être enfin trouver l'atoll tombeau…"

 

Je m'étais simplement assis derrière lui. Pour voir, ce qu'il pouvait bien dire à la mer.

Modeste était posé comme à son habitude, en tailleur, l'eau à la taille à marée haute, loin devant lui à marée basse. Après le repas du midi, quand il y prenait part, il venait à cet emplacement précis, à coté d'un gros rocher, qui semblait être là comme une balise pour les hommes perdus. Avec lui, la mer devenait une entité vivante à part entière. Il la considérait comme une personne, parfois plus. Je m’étais approché doucement, presque à pas feutrés.

- Tu es curieux. Lança-t-il, désinvolte. Cette petite phrase toute simple me surpris au plus haut point, j'étais presque sûr qu'il ne m'avait pas entendu venir, mais s'il l'avait fait, de toute façon il ne m'adressait guère la parole même à l'intérieur de la maison.

Au premier regard, c'était le genre d'homme fière, qui se sait loin des autres et en profite. Bref, quelqu'un qui portait mal son nom.

Mais non, justement.

Il avait peur, tout simplement.

 

- Je te dis que tu es curieux, tu ne dis rien, c'est curieux.

- Je me demandais si vous pensiez que j'étais étrange, ou si j'avais de la curiosité…

- Les deux… Je suis jeune Geoffroy, on ne me dit jamais "vous".

- Ah… Je suis curieux, certainement, je pose des questions sans les poser.

- Je vois oui, vous vous y prenez bien d'ailleurs. La technique infaillible de celui qui est patient. On marche, tu ne dis rien, et les gens se lassent, ils ne pensent qu'à eux, si tu ne dis rien, alors, ça coule de source, ils vont parler d'eux, les uns plus facilement que les autres. J'aurais franchement été surpris que ce ne soit pas Louise qui vienne te voir en premier.

- Avec du recul, moi aussi.

- Je t'observe Geoffroy, j'aime bien observer les gens, et tu es étrange aussi. Qu'est-ce que tu attends d'elle ?

 Je le regardais, dubitatif. Ce grand homme mince et élancé paraissait tout savoir sur tout, avec cette étrange façon de passer sans y faire gaffe d'un tu à un vous, de la manière la plus normale qui soit. Qu'est-ce qu'il pouvait bien savoir, et ne pas savoir ? Il avait l'air de connaître chacun des gens d'ici comme s'il les avait fait, ce qui n'est pas totalement faux.

- Pardon ?

- C'est simple il me semble non ? Je vous demande ce que vous attendez d'elle.

- D'elle qui ?

- De la mer voyons.

- Eh bien… je… je ne me suis pas vraiment posé la question, je … je dois dire qu'elle est un peu… je ne sais pas, un peu…

- Un peu brutale.

- Oui, brutale.

- Je sais. Tu pense parfois à des choses, qui sont là au font de toi, que tu n'acceptes pas toujours, et puis quand on te pose la question brutalement, y a plus d'air. Ne lui en demandes pas trop Geoffroy, à la mer; elle prend beaucoup mais elle donne peu.

- Je sais oui, je l'ai constaté parfois.

- Il faut bien savoir à quoi s'en tenir. Tous ces objets qui tournent autour de nous, de toi, d'elle, de moi; Ils pensent qu'elle n'est rien, ils ne la considèrent pas, alors maintenant elle se méfie, comme moi tu vois, je me méfie grâce à ce qu'elle m'apprend. Je lui parle, elle comprend, elle répond parfois. Mais pas souvent, il faut bien savoir ce genre de choses Geoffroy, qu'elle ne répond que quand ça lui chante. Les bateaux qui la sillonne croient tout savoir, mais on en sait beaucoup plus à apprendre sa confiance qu'à essayer de déjouer ses pièges directement.

- Ses pièges ?

- Oui ses pièges. Elle se joue de nous comme tu ne peux pas l'imaginer. Tu crois regarder quelque chose que tu as toujours connu, cette immensité incroyable, qui porte bien son nom d'ailleurs, mais ça n'est jamais la même chose. Ca va de soi tu me dira, mais c'est toujours bon de se répéter les évidences, histoire qu'elles le soient un peu plus. Tu sais Geoffroy, c'est dangereux les évidences, ça vous tue un homme parfois, regarde-moi, qu'est-ce que je suis ?

-…, j'ouvris la bouche pour ne rien dire. J'aurais voulu réfléchir encore un peu à ce qu'il venait de dire, mais je me suis vite rendu compte qu'avec Modeste, il ne valait mieux pas décortiquer les paroles, ne pas chercher à comprendre, mais simplement écouter tout ce qu'il aurait put dire si rien ni personne ne pouvait l'arrêter. Toutes les bonnes choses ont une fin.

- Un con, tout simplement un con. Si j'avais du temps devant moi, j'aurais fait tout un tas de choses, mais la vie est courte, la mer m'attendait je crois, et je ne pouvais pas passer à coté de quelque chose comme ça. Mes parents voulaient que je sois chirurgien, médecin, vétérinaire, un truc dans le genre quoi… Tu peux me dire qu'est-ce que je pouvais bien en avoir à foutre de gens qui mourraient de toutes façon. Je ne dis pas "A quoi sert de vivre si on doit tous mourir ?", comme on peut souvent le voir écrit au tip-ex sur les portes des chiottes dans les lycées, mais il y a un temps pour tout, comme il y a un temps pour mourir.

Si tu savais le nombre de conneries qu'on peut lire sur ces putains de portes dont les serrures ont sautés bien avant que ces jeunes cons se suggèrent de le faire eux-mêmes, histoire de voir s'ils manqueraient à quelqu'un.

- Quelque chose à reprocher à la jeunesse ?

- Pas plus que ça, ce ne sont que des exemples. A défaut de quoi que se soit de palpitant quand j'y étais, en cours, je n'y allais pas. Si je ne séchais pas, c'est que j'avais décidé de m'offrir un petit voyage en solitaire.

- Le modèle rebelle…, dis-je, un peu rêveur.

- Pas tant que tu le crois; lassé seulement. Si tant est qu'on peut être seulement lassé…

 Au contact de Modeste, je me rendais compte à quel point les poètes sont fous, et les fous sont poètes…, et la mer devant nous, fascinante de frustration, venait s'échouer à nos pieds comme des sujets soupirants devant des empereurs… Oui, elle se jouait de nous, pauvres êtres éphémères.

 

Ca, c'était le mot de la fin pour aujourd'hui. Je suis resté debout à coté de lui, peut-être pendant une heure à attendre la suite, mais il n'y avait pas de suite, il s'était lassé, sûrement…

 

Je suis rentré, les pieds couverts de sable humide, qui s'est ensuite répandu un peu partout sur le parquet du salon, des couloirs, de ma chambre. Je me disais souvent qu'au bout de quelques années, je finirais par réussir à amener cette plage dans la maison, avec moi. Je me suis beaucoup fait engueuler pour les traces sur le parquet.

Parce que pour le parquet, l'eau de mer et le sable, c'est mortel.

Comme pour les gens

C'est trop acide

C'est trop sublime

Trop corrosif.

 

Sur la table de la salle à manger, trois verres sont posés, les miettes de pain tout autour… Le reflet des verres fait trois cercles celtiques entrelacés les uns dans les autres… Parce que la lumière vient de trois fenêtres différentes, trois directions distinctes, trois vies possibles, on se retrouve avec un reflet de réalité impossible à la vue de ces simples verres. Qui aurait cru qu'ils puissent ainsi s'entremêler pour rappeler tout un passé mythologique ? Que d'ambition pour trois verres…

Je me suis assis pour les regarder.

 

- Geoffroy, tout cela est en équilibre, sur un fil tendu au dessus d'un vide immense… Je suis fatigué des gens qui tourne autour de tout cela sans rien voir… Je sais, tu pourrais me dire, voir quoi ? Je ne sais pas. C'est ça le problème Geoffroy, c'est que je ne sais pas. Plus une chose est indicible, plus l'homme va s'employer à trouver des milliers d'expressions, tout aussi métaphoriques les unes que les autres pour tenter de la dire. Une chose dite est alors un peu vivante, mais aussi à moitié morte.

- Qu'est-ce qui est mort, Modeste ?

- Moi, j'ai tué quelque chose. J'ai voulu découper ces toiles fermées, ces rideaux lourds qui nous empêchent de passer. Et puis j'ai voulu réparer derrière moi, mais j'ai coupé tellement de bout de scotch avec mes ciseaux, que maintenant, ce sont eux qui collent.

Des bribes de conversation où je jouais le rôle du mur… Mur investit d'un pouvoir impossible, celui de répondre parfois. Parfois seulement, et souvent par une nouvelle question.

Des murs

Des souvenirs

Du passé.

Ecrit par Pak, à 17:40 dans la rubrique "Ma ptite vie !".



Modèle de mise en page par Milouse - Version  XML   atom